D’une part, les risques évoluent, aux risques sociaux traditionnels,
s’ajoutent des risques socio-écologiques dépendants d’aléas qui se produiront
avec une plus grande occurrence à l’avenir (comme les sècheresses) ou de
phénomènes progressifs (comme la montée du niveau des océans ou le
développement des espèces invasives en raison des changements climatiques),
avec des conséquences parfois vitales sur les populations, en particulier les
plus vulnérables.
D’autre part, il s’agit de trouver le moyen d’émanciper le système de
protection sociale de sa dépendance à la croissance économique et au
productivisme qui, eux-mêmes, sont à l’origine des bouleversements écologiques
et sociaux, verrouillant ainsi toute perspective de transformation ambitieuse
des modes de production et de consommation.
Dans ce contexte, l’accent doit également être mis sur la prévention des
risques et sur l’anticipation afin de prévenir notamment les dérapages
budgétaires qui résulteraient d’une politique axée essentiellement sur la
réparation et la gestion de crise, comme c’est le cas actuellement.
Voici, en très résumé, les hypothèses de départ de l’étude PRETS « Construire
une protection sociale-écologique pour la Belgique » rédigée pour le SPF
Sécurité sociale en février 2025 dans le cadre d’une collaboration entre des
chercheurs de l’ULB, l’UC Louvain et Sciences Po Paris.
Selon les auteurs, les risques sociaux écologiques sont de deux
ordres : les risques directs causés par les événements extrêmes comme les
inondations ou les canicules, mais aussi les risques indirects découlant des
conséquences sociales des politiques environnementales. On pense ici aux
obligations de rénovation énergétique du logement, à l’interdiction progressive
des véhicules à moteur à combustion interne ou encore à la taxe carbone, mesures
qui pèsent davantage sur les ménages précarisés qui n’ont pas les moyens de
s’adapter aux nouvelles normes et réglementations.
On pense aussi à la hausse des prix consécutive aux potentielles pénuries
liées aux mauvaises récoltes ou aux reconversions professionnelles auxquelles
auront à faire face les travailleurs des secteurs économiques appelés à
disparaître ou à évoluer, car dépendant des énergies fossiles.
Quant aux conséquences sur l’individu, elles dépendent de l’ampleur de son
exposition aux différents aléas, mais aussi de sa faculté d’adaptation et de sa
sensibilité.
Le schéma ci-dessous synthétise les déterminants des risques
socio-écologiques :
Qui plus est, il n’y a pas que les individus qui soient vulnérables, les
institutions également peuvent se retrouver en difficulté comme lors de la
crise du COVID-19 ou de la crise énergétique de 2021, ou encore face à la
désinformation.
Il s’agit maintenant, de facto, de se préparer réalistement à un changement
de paradigme plutôt qu’à rester dans le déni d’un futur qui sera inévitablement
différent en restant accroché à une vision du monde aujourd’hui dépassée.
Parmi les recommandations du rapport figure notamment la création d’une
nouvelle branche de la Sécurité sociale destinée à couvrir les risques
sociaux-écologiques, mais pas seulement.
Sept recommandations clés sont avancées pour institutionnaliser la
protection sociale écologique en Belgique, toutes basées sur la démocratisation
de la prise de décision et une plus grande participation de tous les acteurs
concernés.
Dans un contexte dans lequel un certain nombre de secteurs liés aux énergies
fossiles sont appelés à décliner ou à se réinventer, les auteurs estiment
indispensable d’aider les travailleurs à s’orienter vers des filières
compatibles avec la transition écologique telles que les énergies
renouvelables, la rénovation énergétique des bâtiments, l’économie circulaire, le
secteur du soin aux personnes (care) ou encore l’agriculture biologique.
À cette fin, les auteurs suggèrent différentes pistes :
Bien évidemment, ces mesures doivent s’accompagner de conditions de
rémunération et de travail attractives pour les métiers concernés et d’un
investissement conséquent dans toute une série de services publics comme les
transports ou l’éducation dans le cadre de politiques publiques qui promeuvent
un modèle de société inclusif et solidaire.
Tout ceci peut sembler utopique dans un contexte où les gouvernements chez
nous, mais partout en Europe, remettent en question le calendrier des
politiques climatiques et coupent dans les budgets sociaux. Il n’en reste
pourtant pas moins que des réflexions et des expériences pilotes sont en cours.
Le Sénat français a adopté en 2022 un rapport intitulé « Construire la
Sécurité sociale écologique du XXIᵉ
siècle » dans lequel il préconise 48 propositions autour de quatre axes : « pour
guérir la Sécurité sociale de sa myopie et répondre à l'émergence des nouveaux
risques et à un besoin de protections renouvelé, pour mieux intégrer la prise
en compte des risques climatiques dans le modèle de financement de la
protection sociale, pour anticiper dans notre modèle de protection sociale les
transformations de l'emploi, pour concrétiser le droit à une alimentation saine
et poser ainsi la première pierre d'une Sécurité sociale écologique ».
Dans le même ordre d’idée, le canton de Vaud en Suisse a développé un projet
pilote de revenu de transition écologique pour les personnes qui n’ont plus ou pas
droit à des indemnités après une perte d’emploi (bénéficiaires du revenu
d’intégration (RI)).
Ce projet vise un double objectif à la fois social et écologique :
encourager les activités en lien avec la transition et assurer l’insertion (et
même l’épanouissement) des citoyens précarisés.
Le dispositif se structure selon trois catégories d’acteurs bénéficiaires
du revenu de transition écologique (RTE) :
À terme, le dispositif pourrait être financé par un fonds de transition
alimenté par les finances publiques et par des fonds privés.
Il s’inscrit à la fois dans le cadre des objectifs climatiques du Canton de
Vaud de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 50 à 60 % en 2030
et de l’Agenda 2030 des Nations Unies.[1]
En comparaison de la diminution de 18 % du PIB mondial liée à l’inaction
climatique, ce type d’initiative s’inscrit dans la droite ligne d’une
transition écologique, socialement juste et créatrice d’emplois de qualité.
Comme le souligne l’étude PRETS, c’est la contagion de plusieurs projets,
réflexions, initiatives qui feront peut-être basculer le modèle dominant vers
d’autres visions du monde.
Étude PRETS : https://climat.be/actualites/2025/l-etude-prets-protections-et-risques-sociaux-ecologiques-en-transition
Rapport « Construire la Sécurité
sociale écologique du XXIᵉ
siècle : https://www.senat.fr/rap/r21-594/r21-594.html
Étude pour le développement d’un
projet pilote de revenu de transition écologique (RTE) dans le canton de
Vaud : https://www.eper.ch/sites/default/files/documents/2023-05/Synthe%CC%80se%20Etude%20RTE%20VD%20mai%202023_1.pdf
[1] L'Agenda
2030 est un programme de développement durable à l’horizon 2030,
adopté en septembre 2015 par les 193 États membres des Nations Unies. Il fixe
17 objectifs de développement durable (ODD)
qui couvrent l'ensemble des enjeux du développement durable (climat, biodiversité,
eau, énergie, mais aussi paix, éducation, égalité des genres, etc.).