On considère que, du champ de coton au magasin, un jean peut parcourir
jusqu’à 65 000 km, soit une fois et demie le tour de la Terre.[1]
Qui plus est, les teintures et traitements chimiques utilisés polluent les eaux
de surface, contribuent à la destruction des écosystèmes et sont souvent
toxiques pour la santé.
Rien qu’en Europe, c’est plus de 4 millions de tonnes de déchets
vestimentaires qui finissent chaque année à la poubelle.
Selon l’ADEME, la majorité des impacts environnementaux de nos vêtements
découle de leur entretien (lavage et séchage). Chaque année, 500 000
tonnes de microparticules de plastiques non-biodégradables se retrouvent
ainsi dans les océans, soit l’équivalent de 50 milliards de bouteilles en
plastique.[2]
Ne nous voilons pas la face, la plupart des vêtements en vente sur le
marché sont issus de la fast fashion. Leur fabrication s’effectue, le plus
souvent, dans des conditions sociales inacceptables : salaires
incompatibles avec une vie décente, horaires de travail à rallonge, travail
forcé, travail des enfants, exposition à des substances toxiques, etc.
Mais il y a pire encore. Au sein de la fast fashion, explose l’ultra fast
fashion dont le fer de lance sont les enseignes Shein et Temu. Shein met en
moyenne 8 000 nouveaux modèles par jour sur le marché, contre environ 500 par
semaine pour Zara.[3] Le
chiffre d'affaires global de la marque a progressé d’un milliard de dollars en
2016 à plus de 30 milliards de dollars en 2023.[4]
L’évolution pour l’autre géant de la fast fashion Temu est comparable.
Pour faire face à cette invasion, la France étudie actuellement un projet
de loi visant à lutter contre l’ultra fast fashion.[5]
Dans les grandes lignes, le texte vise à inciter les consommateurs à
privilégier une consommation responsable et à responsabiliser davantage les
producteurs.
Il propose notamment :
-
une
définition de l’ultra fast fashion basée sur le dépassement d’un seuil de
nouvelles références ;
-
l’affichage
d’un éco-score aux produits textiles en fonction de leur impact
environnemental ;
-
la
détermination d’une trajectoire d’écocontribution qui impacterait les produits
de manière croissante pour atteindre 10 euros par produit en 2030 sur base de
la durabilité des pratiques commerciales ;
-
un
meilleur encadrement de la publicité et une interdiction de la promotion de la
fast fashion par les influenceurs.
Le projet est critiqué par les entreprises françaises de textile notamment,
car il n’impacte que l’ultra fast fashion, et encore, de manière relativement
modérée. Les enseignes habituelles de fast fashion sont considérées selon les
auteurs du texte comme répondant aux besoins des consommateurs et contribuant à
la vitalité des centres-villes. Par ailleurs, l’interdiction totale de la
publicité n’a pas été retenue en raison d’une éventuelle incompatibilité avec
la notion de liberté d’entreprendre. Le texte n’en constitue pas moins, s’il
est adopté, une certaine avancée qui n’existe pas en Belgique.
En particulier, il n’existe pas encore chez nous de responsabilité élargie
des producteurs de textiles. Si celle-ci est prévue par le décret du 9 mars
2023 relatif aux déchets, à la circularité et à la propreté publique, l’accord
de coopération interrégional concernant la responsabilité élargie des
producteurs (REP) pour les déchets textiles, adopté en seconde lecture par le
Parlement wallon a fait l’objet d’un recours en annulation partielle auprès de
la Cour constitutionnelle qui a rendu son arrêt le 11 avril 2024. Cet arrêt a
notamment annulé les dispositions du décret qui définissaient la notion de
producteurs soumis à la REP.
Par ailleurs, la plupart des mesures prévues par le projet français relèvent
du niveau fédéral et ne peuvent être directement mises en œuvre par la Wallonie.
La sensibilisation des consommateurs repose donc essentiellement sur les
initiatives d’associations militantes ou des acteurs de l’économie sociale.
Dans les faits, l’action la plus efficace pour lutter contre les déchets
textiles serait l’allongement de la durée de vie des vêtements. Une industrie
textile durable reposerait idéalement sur une sobriété de la part des
consommateurs. Pour respecter les objectifs climatiques, il faudrait, selon une
étude du think tank Hot and Cool Institute, se limiter à 5 vêtements neufs par
an et par personne.[6]
On pourrait se dire que, quand même, la seconde main contribue à cet
objectif d’allongement de la durée de vie. Est-ce bien le cas ?
Malheureusement pas. C’est ainsi qu’en pratique, la réutilisation débouche,
par effet rebond, sur une accélération du caractère jetable des vêtements en favorisant
notamment les achats compulsifs.
Quant aux vêtements usagés faisant l’objet d’une collecte sélective par les
sociétés commerciales qui ne relèvent pas de l’économie sociale, leur tri est
bien souvent réalisé dans les pays du Sud comme le Ghana, où 15 millions de
vêtements déposés dans les conteneurs à textiles sont acheminés chaque semaine et
finissent en grande partie dans des décharges à ciel ouvert.
Reste le recyclage des textiles usagés qui peut jouer un rôle. Pour citer
un exemple, l’entreprise Dagobaire, de l’autre côté de la frontière, recycle
les textiles usagés pour les transformer en fibres afin de fabriquer de
nouveaux fils ou de l’isolant pour le bâtiment. L’entreprise intègre aussi une
dimension sociale à travers une politique de diversité visant à proposer des
opportunités professionnelles aux travailleurs migrants politiques ou
climatiques.
Néanmoins, il faut reconnaître que le problème est complexe et les
solutions proposées agissent à trop petite échelle pour constituer une réponse efficace
en l’absence d’une réglementation contraignante. Règlementation qui aurait
aussi l’avantage de permettre le développement d’une industrie textile locale
pourvoyeuse d’emplois de qualité et non-délocalisables, ce qui actuellement est
très difficile en raison de la concurrence des pays à bas salaire et du nœud
logistique que représente la Belgique, et en particulier la Wallonie.
Enfin, il faut reconnaître que le succès de la fast fashion est aussi lié
au fait que la plupart des consommateurs ont difficilement les moyens
financiers de s’habiller avec les marques qui proposent des vêtements
respectant un cahier des charges basé sur des critères écologiques, sociaux et
éthiques alors qu’ils sont submergés d’injonctions liées à la mode.
[1] https://www.bep-environnement.be/actualites/serd-industrie-textile-pollution/#:~:text=Le%20transport&text=On%20consid%C3%A8re%20que%20du%20champ,gaz%20%C3%A0%20effet%20de%20serre.
[2] https://www.ceseau.org/pollution-domestique-et-alternatives/eau-pollution-vetements-textile/#:~:text=Selon%20l'ADEME%2C%20elle%20mobiliserait%20%C3%A9galement%20pr%C3%A8s%20de,des%20ressources%20d'eau%20potable%20de%20la%20plan%C3%A8te.&text=Finalement%2C%20la%20fabrication%20d'un%20t%2Dshirt%20repr%C3%A9sente%20en,l'%C3%A9quivalent%20de%2070%20et%20285%20douches%20!
[3] https://bonpote.com/shein-la-marque-dultra-fast-fashion-qui-envahit-le-monde/#:~:text=Avec%20pr%C3%A8s%20de%208%20000%20nouveaux%20designs,de%20nos%20%C3%A9cosyst%C3%A8mes%20et%20de%20notre%20sant%C3%A9.&text=L%C3%A0%20o%C3%B9%20une%20marque%20de%20mode%20conventionnelle,mod%C3%A8les%20par%20an%20et%20Zara%20propose%20500
[4] https://fr.statista.com/statistiques/1375832/shein-chiffre-affaires-mondial/#:~:text=Shein%20:%20chiffre%20d'affaires%20mondial%20estim%C3%A9%202016%2D2023&text=Ce%20graphique%20pr%C3%A9sente%20l'estimation,%C3%A0%205%20milliards%20de%20dollars.
[5] https://www.senat.fr/actualite/fast-fashion-reduire-limpact-environnemental-de-lindustrie-textile-5267.html
[6] https://www.rtbf.be/article/cinq-vetements-neufs-par-an-une-solution-pour-lutter-contre-la-fast-fashion-et-sauver-la-planete-11314908