La surexploitation des ressources naturelles n’est pas un phénomène
nouveau. L’Empire romain a été marqué par une exploitation intense des
ressources naturelles, notamment forestière, agricole et minière qui a conduit
à des problèmes tels que le déboisement, l’érosion des sols et des pollutions
au plomb notamment.
Cependant, nous assistons pour la première fois, pas seulement à une
situation géographiquement délimitée, mais à un basculement potentiel de
l’équilibre de l’écosystème terrestre dans sa globalité causé par l’activité
humaine.
Pour faire face, les grandes institutions internationales, que ce soit
l’OCDE, la Banque mondiale, les Nations unies, l’Union européenne ou même l’OIT
(Organisation Internationale du Travail) misent sur le découplage entre la
croissance économique et l’utilisation des ressources naturelles. En quelques
mots, il s’agit de produire toujours plus avec la même quantité de ressources,
voire moins de ressources, et en réduisant l’impact des activités sur
l’écosystème comme l’indique l’objectif européen de neutralité carbone en 2050.
Finalement, l’idée est de poursuivre notre croissance économique et de
créer des opportunités d’emplois sans mettre en danger la planète.
Dans son sixième rapport d'évaluation (AR6) publié
en 2023, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du
climat), d’ordinaire politiquement correct, estime pourtant que la stratégie de
la croissance verte ne suffira pas :
« Il semble de plus en plus évident que même un découplage absolu
généralisé et rapide pourrait ne pas suffire à atteindre ces objectifs [les 1,5
°C ou 2 °C de l’Accord de Paris] sans une certaine forme de décroissance
économique ».
Les solutions technologiques ne suffiront clairement pas si elles ne
s’accompagnent pas d’un changement de nos modes de production et de
consommation.
Le droit social au service du productivisme ou de
la protection des travailleurs ?
À cet égard, lors du séminaire d’actualité du CEPAG du 6 juin dernier,
intitulé « La réduction du temps de travail peut-elle sauver le
climat ? », Elise Dermine, Professeure à l’Université Libre de
Bruxelles (ULB) a évoqué avec nous les ressources du droit social, permettant
de dégager des temps non-productivistes dans une perspective de transition
écologique.
Selon cette dernière, le droit social entretiendrait une relation ambiguë
avec le productivisme.
Côté face, le droit social s’est développé à partir de la fin du XIXe
siècle pour protéger les travailleurs employés dans des conditions de travail
désastreuses depuis le début de la révolution industrielle.
Des limites à l’exploitation des travailleurs ont été instaurées. Un
système assurantiel a été mis en place pour les prémunir face à différents
risques comme les accidents de travail, la maladie, etc., avec un idéal de
justice sociale.
Côté pile, le droit social est certainement un pilier central du
productivisme. En échange de toutes une série de protections (congés payés,
durée maximale de travail, droit à la retraite, etc.), les travailleurs
acceptent collectivement que la propriété de l’entreprise réside dans les mains
des détenteurs des moyens de production, c’est-à-dire du capital auquel les
travailleurs louent leur travail dans un lien de subordination.
Par ailleurs, il s’agit de financer la sécurité sociale grâce aux
cotisations sociales sur les salaires. Or plus la croissance économique
augmente, plus il y a d’emplois créés et donc plus de rentrées pour la sécurité
sociale.
Il n’en reste pas moins que le
droit social recèle des ressources permettant de résister à la logique
productiviste et qu’il devrait être possible de les exploiter afin de dégager
des espace-temps non-productivistes.
La réduction du temps de
travail au centre du combat climatique
La réduction du temps de travail
se situe au cœur des luttes syndicales depuis le XIXe siècle, avec
pour aspirations la diminution de la pénibilité, le partage du travail et la
conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Aujourd’hui, dans le
contexte de la crise écologique, elle prend tout son sens comme moyen de lutter
contre le productivisme.
La mettre en œuvre dans un
contexte où, au contraire, la tendance va à l’augmentation de la durée du
travail ne va cependant pas de soi. Il serait pourtant possible d’agir de façon
plus détournée.
En effet, la loi sur le contrat
de travail contient déjà un certain nombre de mécanismes de suspension du
contrat de travail permettant au travailleur salarié de se consacrer à des
activités situées hors du champ de la production, mais considérées comme ayant
une valeur sociétale.
Par exemple, un travailleur peut
suspendre l’exécution de son contrat de travail pour exercer un mandat
politique, pour se rendre à une audience dans les cours et tribunaux du
travail, dans le cadre des congés-éducation payés, … Il existe ainsi 19 causes
de suspension qui permettent de retrouver son emploi à l’issue des périodes
considérées et qui pourraient être élargies. La possibilité de refuser un
emploi pour des raisons écologiques pourrait également être introduite.
Dans de nombreux secteurs, des
conventions-collectives de travail ont été conclues incluant davantage de jours
de petits chômages, plus de jours de congés légaux, etc.
Le plus souvent, ces avantages
ont été négociés dans les secteurs les plus forts qui sont souvent également
les plus polluants. Il conviendrait, par exemple, de les recenser et de les
faire circuler afin de disséminer des modèles qui pourraient servir de base
pour d’autres secteurs, notamment les secteurs liés à la transition
énergétique.
Contrer le productivisme passerait
de cette façon par la valorisation de périodes socialement utiles et qui
représentent une forme de résistance, voire une ouverture pouvant conduire à
une société plus juste et plus écologique qui prennent en compte les objectifs
de développements durables des Nations Unies tels que la santé, l'éducation,
l'égalité de genre, la réduction de la pauvreté et la protection de
l'environnement.