J’ai lu pour vous : Earth for all/Terre pour tous

Nouveau rapport du Club de Rome


En 1972, le rapport Meadows intitulé « Les limites à la croissance » avait mis en évidence, sur base d’une approche systémique, la nécessité d’une économie sans croissance et d’une meilleure répartition des richesses afin de préserver le système mondial d’un effondrement. Un certain nombre de critiques avaient été adressées à ce rapport notamment sur son analyse de la variable démographique.

Néanmoins, le message fondamental n’a toujours pas été entendu 50 ans plus tard. Au cours du XXe siècle, la production agricole a été multipliée par quatre, la consommation d’énergie par dix et l’extraction de matériaux de construction par trente.

Malgré le succès de librairie rencontré à l’époque, rien n’a vraiment changé, si ce n’est l’inflation de la législation sur l’environnement : les inégalités sociales se sont creusées, le réchauffement climatique s’aggrave en permanence et les limites planétaires sont franchies les unes après les autres.

La septième édition du rapport intitulée « Terre pour tous » qui vient d’être publiée en français approfondit l’analyse grâce aux progrès de la modélisation économique.

Il envisage deux scénarios à l’horizon 2100: le scénario « Trop peu, trop tard » qui correspond à la poursuite des tendances actuelles, qui conduit à une vision de l’avenir apocalyptique, et le scénario « Pas de géant ».

Le scénario « Pas de géant » parle de cinq changements de caps qui doivent être réalisés en même temps et sur les dix ans qui viennent : la réduction de la pauvreté, celle des inégalités, l’émancipation de la femme en particulier dans les pays du Sud, le développement d’une agriculture propre et régénératrice et la sortie des énergies fossiles.

Sur le plan des inégalités, il est criant d’observer notamment que le salaire d’un CEO américain a crû de 1.400 % depuis 1978, alors que celui d’un travailleur n’a augmenté que de 300 %, considérant bien entendu que l’inflation s’est poursuivie tout au long de la période.

Il s’ensuit qu’aujourd’hui 10 % de la population s’accaparent plus de 75 % de la richesse mondiale.

Sans remettre en cause cependant le modèle capitaliste, le rapport « Terre pour tous » propose une répartition des richesses plus équitable où ce pourcentage serait réduit à 40 % et la remise en cause de l’indicateur du PIB pour mesurer le développement économique sur base du bien-être.

Pour ce faire, une des propositions-phare consiste en la création de Fonds citoyens alimentés par les revenus du secteur privé pour l’extraction et l’utilisation de ressources qui peuvent être considérées comme des biens communs (les énergies fossiles, la terre, l’eau douce, les océans, les minéraux, l’atmosphère, les données et les connaissances) et redistribués à tous les citoyens par le biais d’un dividende universel de base.

Le texte insiste également sur le renforcement des droits du travail et du pouvoir de négociation des travailleurs afin d’augmenter la part des revenus du travail par rapport au capital et l’importance de la négociation collective. Davantage de travailleurs devraient pouvoir accéder à la copropriété de leur entreprise et/ou disposer de sièges dans les conseils d’administration afin de peser sur les décisions.

Sur le plan énergétique, l’électrification apparaît comme la solution en lien avec l’économie circulaire et le progrès technologique. Un chiffre étonnant cité par le rapport est que l’utilisation de l’hydrogène pour produire de l’acier réduirait de 97 % les émissions de gaz à effet de serre. Citons également le développement des transports publics, des infrastructures cyclables et de l’autopartage plutôt que le tout à la voiture électrique.

La régulation de la finance mondiale apparaît aussi comme une priorité afin de dégager des capacités d’investissements au profit des pouvoirs publics et de réorienter l’économie vers des trajectoires économiques vertes. La réforme du système des droits de propriété intellectuelle, une tarification du carbone plus ambitieuse qui n’impacte pas les populations les plus précaires, la réduction du fardeau de la dette pour les pays à faible revenu figurent parmi les différentes pistes citées.

La concrétisation de la promesse de la COP 18 de 2008 à Copenhague de consacrer 100 milliards de dollars par an aux financements climatiques apparait également comme une priorité.

En résumé, 2 à 4 % du revenu mondial annuel seulement seraient nécessaires pour assurer une sécurité alimentaire et énergétique durable, soit bien moins que la part consacrée par exemple à la gestion de la crise financière de 2008.

Une question reste posée à la lecture de l’ouvrage qui est la disponibilité des matières premières alternatives aux énergies fossiles nécessaires au modèle économique proposé.

Quant à la question démographique qui constituait une pierre d’achoppement du rapport initial, elle semble ici résolue puisque grâce à l’éducation des filles et à l’élévation du niveau de bien-être, la population, après avoir culminé à 8,5 milliards d’êtres humains se stabiliserait autour de 6 milliards d’êtres humains en 2100, soit le même niveau qu’en 2000.

Le tableau qui suit reprend les 15 recommandations politiques du rapport « Terre pour tous » :

Pauvreté 

  • Permettre au Fonds monétaire international d’allouer plus de 1000 milliards de dollars par an aux pays à faible revenu pour les emplois verts / stimuler les investissements par le biais des droits de tirage spéciaux.
  • Annuler l’intégralité de la dette des pays à faible revenu (
  • Protéger les industries naissantes dans les pays à faible revenu et promouvoir le commerce Sud-Sud entre ces pays. Améliorer l’accès aux énergies renouvelables et aux technologies de la santé en supprimant les obstacles au transfert de technologies, notamment les contraintes que font peser les droits de propriété intellectuelle.

Inégalités

  • Augmenter les impôts des 10 % les plus riches de la société jusqu’à ce qu’ils perçoivent mois de 40 % des revenus nationaux. Le monde a besoin d’un impôt progressif musclé et d’éliminer les échappatoires financières internationales pour combattre les inégalités, facteurs de déstabilisation, la consommation de produits de luxe à forte empreinte carbone et pour protéger les réserves de la biosphère.
  • Légiférer pour renforcer les droits des travailleurs. En cette période de profonde transformation, les travailleurs ont besoin d’une protection économique.
  • Introduire des Fonds citoyens pour donner à tous les citoyens une part équitable du revenu national, de la richesse et du patrimoine mondial par le biais de systèmes de taxes et de dividendes.

Egalité de genre

  • Donner accès à l’éducation à toutes les filles et à toutes les femmes.
  • Atteindre l’équité de genre dans les emplois et les postes de direction.
  • Allouer des pensions de retraite décentes.

Alimentation

  • Légiférer pour réduire les pertes et le gaspillage alimentaires.
  • Renforcer les incitations économiques en faveur de l’agriculture régénératrice et de l’intensification durable.
  • Promouvoir des régimes alimentaires sains, issus d’une production agricole qui respecte les limites planétaires.

Energie

  • Eliminer immédiatement les combustibles fossiles et développer l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Tripler immédiatement les investissements dans les nouvelles énergies renouvelables pour atteindre > 1000 milliards de dollars par an.
  • Tout électrifier.
  • Investir dans le stockage de l’énergie à grande échelle.

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