Dans cet entretien, Cédric
revient sur les bienfaits de la mobilité active, les freins à lever pour la
rendre accessible à toutes et tous, et les leviers que les syndicats peuvent
actionner pour en faire une revendication sociale et écologique forte.
Cellule Mobilité :
Parle nous un peu du projet « En mouvement pour ma santé » ?
Cédric Lehance : «
En mouvement pour ma santé » est un programme que nous développons avec le
CHU et l’Université de Liège, en partenariat avec les villes et les communes.
L’idée est simple : rendre l’activité physique accessible, gratuite et adaptée
à tous, principalement aux personnes souffrant de maladies chroniques. Chaque
semaine, plusieurs centaines citoyens participent à des séances encadrées par
des professionnels, dans un cadre bienveillant et proche de chez eux. Notre
objectif est que chacun puisse bouger à son rythme, en toute sécurité, et
retrouver le plaisir de l’activité physique. Au-delà de la santé, c’est aussi
une manière de recréer du lien social et de renforcer le bien-être au quotidien
Les entreprises s’intègrent
pleinement dans ce raisonnement. Cela passe par des infrastructures ou
solutions pratiques mais aussi par une nouvelle culture du travail. On peut par
exemple organiser des réunions en marchant à l’extérieur, ou même transformer
une rencontre en une balade à vélo : c’est une façon simple de rester actif, de
stimuler la créativité et de rendre les échanges plus dynamiques.
Cellule Mobilité :
Quels sont les impacts concrets de la mobilité active sur la santé des
travailleurs ?
Cédric Lehance : On
sait aujourd’hui que la sédentarité est un problème majeur de santé publique,
en particulier chez les travailleurs. Intégrer des formes de mobilité active
comme la marche ou le vélo permet de lutter efficacement contre cette
inactivité. Les bénéfices sont multiples : réduction des risques de maladies
chroniques (comme le diabète de type 2), amélioration de la condition physique,
du sommeil, renforcement du système immunitaire, diminution du bruit et amélioration
de la qualité de l’air. Bouger quotidiennement autrement qu’en voiture, même de
manière modérée, contribue à se maintenir en bonne santé sur le long terme.
Cellule Mobilité :
Et sur le plan mental, quels effets observe-t-on ?
Cédric Lehance :
L’impact est tout aussi significatif. L’activité physique douce intégrée au
quotidien, par exemple via les déplacements domicile-travail, agit comme un
véritable régulateur de stress. Elle favorise une meilleure humeur, augmente la
concentration et aide à trouver un équilibre entre vie professionnelle et
personnelle. C’est aussi un bon moyen de lutter contre l’isolement social, un
phénomène qu’on rencontre notamment dans les environnements de travail très
numérisés.
Cellule Mobilité :
Rendre la mobilité active accessible à toutes et tous, est-ce réellement
possible ?
Cédric Lehance :
C’est un enjeu central. Des projets comme « En Mouvement pour ma santé »
montrent qu’avec un bon maillage territorial, des séances gratuites, un
encadrement de qualité et du matériel adapté (comme des vélos électriques), on
peut lever de nombreux freins. L’idée, c’est de proposer un accompagnement de
proximité, notamment pour les personnes vivant avec une pathologie chronique ou
en situation de vulnérabilité. L’accessibilité passe par des solutions au plus
proche des personnes, ancrées localement en commençant par les citoyens via les
communes. Au niveau professionnel, l’intégration des réflexions dans les
entreprises permet aussi d’améliorer la santé des travailleurs durant leur
temps de travail et les délégués peuvent et les chemins vers le travail sont
une première piste.
Cellule Mobilité :
Mais cette dynamique devrait aussi exister en entreprise ?
Cédric Lehance :
Absolument. Le monde du travail a un rôle essentiel à jouer. « En
mouvement pour ma santé » a participé au printemps de la mobilité qui
regroupait les entreprises du Liège Science Park afin d’encourager des
habitudes de vie plus saines dans les milieux professionnels. Concrètement dans
les entreprises cela passe par des infrastructures adéquates : parkings vélos
sécurisés, douches, vestiaires, mais aussi des plans de mobilité durables mais
aussi envisager le rapport à l’activité physique autrement que comme un loisir.
Certaines entreprises mettent en place des flottes de vélos de service ou des
incitants comme des indemnités vélo supérieures au seuil minimal. Les
entreprises les plus avancées en matière de santé au travail mettent en places
des séances collectives de jogging, marche ou balade à vélo pour remplacer
certaines réunions. Intégrer l’activité physique dans le quotidien
professionnel, y compris sur le temps de travail, participe pleinement à la
qualité de vie des travailleurs. Et cela doit être porté dans les discussions
syndicales : c’est un véritable levier d’action pour améliorer la santé des
travailleurs et leur bien-être dans l’entreprise.
Cellule Mobilité :
En quoi estimez-vous que la mobilité active s’inscrive-elle dans un combat
syndical plus large ?
Cédric Lehance :
Parce qu’elle touche à plusieurs dimensions : la santé, bien sûr, mais aussi la
justice sociale et la transition écologique. Le concept de santé positive1
fait parfaitement le lien entre les sensibilités syndicales et les intérêts des
travailleurs, notamment via la mobilité active car c’est un moyen concret
d’agir contre les inégalités d’accès à la santé et au transport, tout en
réduisant les émissions polluantes et en améliorant la qualité de vie. Rendre la
mobilité active accessible à toutes et tous, quel que soit le revenu, l’âge ou
l’état de santé, c’est défendre un droit fondamental.
Cellule Mobilité :
En quoi la mobilité active crée du lien social ?
Cédric Lehance : Que cela soit lorsque l’on marche, cours ou fait du vélo, nous sommes en contact avec notre environnement et les personnes que l’on croise. Il n’est pas rare d’échanger quelques paroles ou moment avec des connaissances, chose qui n’est pas possible au volant de sa voiture. Sur le lieu de travail, les travailleurs qui viennent à pied finissent par partager quelques pas vers l’entreprises et créer des liens ; les cyclistes finissent par se rencontrer sur le chemin du travail ou aux parkings vélos ou douche et discuter vélo, itinéraires, météo, expériences, l’absence d’infrastructure, les amélioration souhaités, … et des liens se tissent. Certains travailleurs font de temps à autre une partie de leur trajet avec un collègue cycliste, une sorte de « covélotaf ». D’autres se synchronisent pour prendre les mêmes transports en commun puis faire une partie du trajet à pied ou à vélo vers leur destination. La mobilité active au sens large en comprenant les transports en commun permet de créer du lien entre les travailleurs.
L’entretien avec Cédric Lehance le confirme : la mobilité active est bien plus qu’un simple choix de déplacement. C’est un véritable outil de prévention, de lien social, et de justice environnementale. Elle répond à des enjeux de santé publique, mais aussi à des inégalités profondes d’accès à l’activité physique, à l’espace public, au bien-être.
Pour les organisations
syndicales, il ne s’agit pas d’un sujet secondaire. Revendiquer des
aménagements dans les entreprises, des incitants concrets pour les
travailleuses et travailleurs, ou encore mettre en place des vélos d’entreprise
et de service, c’est défendre un droit à la santé, à un environnement sain et à
une qualité de vie.
À nous, collectivement, de faire de la mobilité active un levier syndical à part entière. Parce que bouger, c’est bon pour soi. Et parce que rendre ce droit universel et accessible, c’est aussi faire avancer nos luttes sociales.
1 Santé positive
: Ce concept va au-delà de l’absence de maladie. Il prend en compte six
dimensions : physique, mentale, sociale, existentielle, qualité de vie et
fonctionnement quotidien. Il met l’accent sur les ressources de chacun pour
vivre pleinement et activement, plutôt que seulement sur les symptômes.