Depuis
quelques années, l’intelligence artificielle générative s’impose comme un outil
incontournable. Pour la recherche scientifique, dans les entreprises ou même
dans la sphère privée, de plus en plus de personnes y ont recours, que ce soit
pour rédiger un texte, résumer un article, générer une image ou simplement
échanger des idées. Véritable compagnon numérique pour certain.es, elle
s’infiltre dans notre quotidien et se banalise progressivement.
Mais
derrière la simplicité d’usage se cachent des réalités plus complexes,
notamment sur le plan environnemental, éthique et social. L’IA générative
consomme d’importantes ressources énergétiques. L’entraînement des modèles,
tout comme leur utilisation massive, nécessite des infrastructures
informatiques puissantes (centres de données, processeurs spécialisés,
climatisation) dont l’empreinte carbone n’est pas négligeable. À l’heure où la
crise climatique impose une réduction drastique de nos émissions, ces
technologies posent la question de leur soutenabilité.
Enfin, se
pose la question de l’impact de l’IA sur l’emploi. Certains y voient un outil
de productivité, capable de libérer l’humain des tâches répétitives pour se
concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée. D'autres craignent une
substitution progressive de certains métiers. Comme à chaque révolution
technologique, l’enjeu sera de réussir une transition juste, qui ne laisse personne
sur le bord de la route.
Il devient donc crucial d’interroger collectivement le développement de l’IA générative. Non pas spécialement pour freiner l’innovation, mais pour s’assurer qu’elle se développe dans un cadre éthique, soutenable et au service du bien commun.
Une simple interaction avec une IA générative consommerait ainsi, en moyenne, dix fois plus d’électricité qu’une recherche sur Google
Les modèles
de langage à la base de l’intelligence artificielle générative, comme ChatGPT,
nécessitent des capacités de calcul colossales. Leur entraînement repose sur
l’analyse de milliards de données, mobilisant des serveurs puissants installés
dans des centres de données très énergivores. Evidemment, cette dépense
énergétique ne s’arrête pas à la phase d’entraînement de l’IA en amont de son
utilisation, puisque chaque requête envoyée par un utilisateur active à son
tour ces serveurs. Une simple interaction avec une IA générative consommerait
ainsi, en moyenne, dix fois plus d’électricité qu’une recherche sur Google
(source : Bloomberg, 2023).
Selon
l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les centres de données représentent
aujourd’hui 1,5 % de la consommation électrique mondiale, soit 415 TWh (une
consommation qui pourrait plus que doubler d’ici 2030 pour atteindre 945 TWh),
l’IA étant identifiée comme le principal moteur de cette croissance (AIE, « Electricity
2024 » Report).
Au plus les modèles deviennent complexes, au plus leur refroidissement devient lui aussi plus intensif : au-delà de la climatisation classique, certains centres doivent pomper de grandes quantités d’eau pour maintenir les machines à un certaine température. Comme l’expliquait Fabrice Coquio, président d’Interxion France dans un article paru dans « Le Monde » en 2023, « les serveurs destinés à l’IA générative dégagent tellement de chaleur qu’il faut parfois les refroidir à l’eau directement dans les équipements ». Dans un rapport récent de l’université de Californie à Riverside, on lit que le traitement de 10 à 50 requêtes par les modèles d’IA les plus performants consomme environ 2 L d’eau pour assurer le refroidissement des serveurs.
Les centres de données représentent aujourd’hui 1,5 % de la consommation électrique mondiale.
Les géants
du numérique tels que Google, Meta ou Microsoft reconnaissent eux-mêmes
l’explosion de leur consommation énergétique et de leurs émissions de gaz à
effet de serre depuis l’essor de l’IA générative. Ce développement exponentiel
soulève une question de fond : notre système énergétique pourra-t-il suivre ?
Pour Hugues Ferreboeuf, expert en sobriété numérique, cette question doit être
traitée comme un enjeu politique : « Le déploiement de l’IA doit faire l’objet
d’un véritable débat démocratique » (France Culture, 2024).
Il ne faut
pas oublier non plus que le développement de l’IA accroit également la demande
en matériaux rares, puisque les serveurs en sont constitués. Ainsi, les
« terres rares » utilisées posent également toute une série de
questions liées à leur extraction et les conditions de travail qui en découle
dans certains pays du sud (souvent travailleur clandestin, parfois des enfants
comme l’explique Amnesty International, La Chronique 2023), mais aussi leur
approvisionnement voire leur accaparement par certains pays. Des questions
géostratégiques se posent donc.
L’intelligence
artificielle n’est pas uniquement néfaste. A vrai dire, elle pourrait même
contribuer à la transition écologique si elle est utilisée à bon escient. Mais
son déploiement doit répondre à des besoins clairement définis collectivement,
et non à la seule logique de profit qui anime les grandes entreprises (technologiques
ou autres). Elle doit pouvoir servir la cause plutôt que l’alimenter. Ainsi, en
tant que représentant.e du personnel, vous avez aussi votre mot à dire dans
l’utilisation de l’IA sur le lieu de travail. Cela est abordé au point suivant.
Focus sur l’impact de l’IA sur le travail
« Une
récente étude de l’OIT* suggère que la plupart des emplois et des industries ne
sont que partiellement exposés à l’automatisation et sont plus susceptibles
d’être complétés que remplacés par la dernière vague d’IA générative, telle que
chatGPT. Par conséquent, l’impact le plus important de cette technologie ne
sera probablement pas la destruction d’emplois, mais plutôt les changements
potentiels de la qualité des emplois, notamment l’intensité du travail et
l’autonomie. Ces impacts varient fortement selon les secteurs et les fonctions.
Le travail de bureau s’avère être la catégorie la plus exposée aux technologies
d’intelligence artificielle, avec près d’un quart des tâches considérées comme
très exposées et plus de la moitié des tâches présentant un niveau d’exposition
moyen. Dans d’autres catégories professionnelles — notamment les cadres,
les professionnels et les techniciens — seule une petite partie des tâches
est considérée comme très exposée, tandis qu’environ un quart d’entre elles
présentent un niveau d’exposition moyen. »
« Nous
devons être associés à la concertation. L’IA dans l’entreprise doit être
soumise au dialogue social. Ce principe est notamment inscrit dans la
convention que les interlocuteurs sociaux européens ont signée en juin 2020 sur
le thème de la digitalisation. Ils ont convenu que les décisions relatives à la
transformation numérique d’une entreprise doivent être prises en concertation
entre les employeurs et les (représentants des) travailleurs, pour faire en
sorte que les avantages soient pleinement utilisés, les risques limités et le
cadre légal correctement appliqué. Toutefois, notre propre législation belge
comporte depuis très longtemps un levier qui permet d’entamer le débat : la CCT
n° 39 relative à l’introduction de nouvelles technologies. Cette CCT stipule
que lorsqu’il a décidé d’investir dans une nouvelle technologie et lorsque cet
investissement a d’importantes conséquences collectives pour l’emploi,
l’organisation du travail ou les conditions de travail, l’employeur doit, au
plus tard 3 mois avant l’implantation de la nouvelle technologie :
- donner des informations sur la nature de la nouvelle technologie,
sur les facteurs qui justifient son application et sur la nature des
conséquences sociales; et - se concerter avec les représentants des
travailleurs, à propos des conséquences sociales de l’introduction de la
nouvelle technologie. Bien qu’elle date déjà de 1983, cette CCT reste
certainement une base utile pour des négociations avec l’employeur sur la mise en
œuvre des applications IA »
Pour conclure, quelques conseils pour l’utilisation de l’IA
Si vous
utiliser l’IA générative, que ce soit de manière occasionnelle ou régulière, il
est possible de mettre en place quelques petites choses pour limiter significativement
la consommation énergétique de votre utilisation.
En voici
quelques-unes :