Transition (in)juste : le cas de l’usine sidérurgique de Tarente en Italie


 

Tarente est une ville italienne d'environ 188 000 habitants, située dans les Pouilles, au sud de l’Italie, une des régions les plus pauvres du pays. Son histoire est intimement liée à celle de la sidérurgie.

En 1960, le groupe public Ilva inaugure l’usine d’une capacité de production de 10 millions de tonnes d’acier, un investissement clé pour une économie italienne en plein développement.

Dans la foulée de la vague de privatisation qui a démarré dans les année 80, en raison également de l’augmentation des coûts de production et de la concurrence des économies émergentes, l’entreprise est privatisée et revendue en 1995 au groupe italien Riva.

En 2012, elle procure de l’emploi à 40 000 personnes (12 000 emplois directs et 28 000 emplois indirects) et produit 27,3 millions de tonnes d’acier. Le site représente 67?% de la consommation nationale de produits plats et 25?% des besoins en composants de l’industrie automobile.

C’est sans compter avec l’impact sanitaire de l’usine. Une première étude épidémiologique établit un excès de mortalité par cancer évalué entre 10 et 15 % aux alentours de l'usine Ilva, dont un pic de 30 % de cancers des poumons. Cette mortalité serait due notamment à un important rejet de dioxine. D’autres études toujours plus accablantes suivront.

Face à l'ampleur de cette pollution, l’usine est mise sous séquestre le 26 juillet 2012 jusqu'à assainissement du site et sous administration extraordinaire du gouvernement italien.

Néanmoins, au vu des enjeux économiques, ce dernier approuve une loi accordant une dérogation permettant à une partie de l’usine de rouvrir, en échange de la réalisation d’un premier plan d’assainissement du site, finacé à hauteur de 336 millions d'euros par l'État et l’octroi d’une immunité environnementale.  Malgré tout, le pouvoir judiciaire ordonne l'interruption de la production de l'usine, décision finalement contournée par l’adoption d’un décret-loi dit "Salva Ilva" (Sauver Ilva).

Après cinq ans de procès, un tribunal de Tarente condamne en 2021, les anciens propriétaires de Ilva à respectivement 22 et 20 ans de prison pour avoir laissé une pollution cancérigène émaner de l'usine pendant plus de cinquante ans.

En 2018, l’usine devient propriété d’ArcelorMittal à condition que le groupe s’engage sur des objectifs de dépollution et d’emplois mais des différends surgissent et l’Etat italien reprend, en 2021, une participation de 38 % dans le capital de l’entreprise. Le groupe avait promis d'investir environ 2,4 milliards d'euros sur cinq ans pour améliorer la productivité et accélérer la dépollution du site mais le Parlement italien, sous l'impulsion du Mouvement Cinq Etoiles, a révoqué « l’immunité pénale et administrative » dont disposait l'usine.

Aujourd’hui, la production de l’usine, qui emploie encore 8 200 travailleurs directs et 3 500 au niveau de ses sous-traitants locaux, ne s’élève plus qu’à 3 millions de tonnes d’acier. Toujours actionnaire majoritaire à 62 %, ArcelorMittal espère vendre l'intégralité des parts à l'Etat italien.

Voilà résumée, brièvement et temporairement, la saga de l’usine de Tarente qui est loin d’être terminée.

Mais qu’en est-il de l’action syndicale ?

Il est clair que les travailleurs et leurs familles sont pris entre avoir un emploi et véritablement sauver leur vie.

Les confédérations syndicales officielles ont maintenu une ligne basée sur la relance de l’activité, la défense de l’emploi et son verdissement dans le cadre d’une gestion si possible publique. On constate ainsi que, bien souvent, le droit au travail et la raison économique d’Etat prédominent sur le droit à la santé qui en découlerait, plutôt que d’en être un préalable.

Parallèlement, des mouvements syndicaux communautaires se sont développés au niveau local, en lien avec les organisations environnementales et les mouvements citoyens. Ces derniers estiment que tout plan de relance industrielle doit inclure, avant tout, des garanties sur le plan de l’environnement, de la santé et de l’emploi. Le curseur de la transition juste est donc placé ici différemment.

Il s’agit d’un cas forcément très complexe, beaucoup plus que le résumé succinct présenté ici ne le laisse entendre mais, il met en évidence, de façon claire, les différentes forces en présence et la difficulté de trouver une solution qui garantisse à la fois l’emploi, l’activité économique et la qualité de vie. C’est d’autant plus vrai quand il s’agit d’un secteur économique stratégique, avec d’énormes sommes investies et qui s’inscrit dans le cadre d’une concurrence mondialisée.

Un groupe mondialisé comme ArcelorMittal a pu, par exemple, gagner beaucoup d’argent en spéculant sur le prix des quotas d’émissions de CO2 avec la fermeture de ses activités les moins rentables en Belgique, plutôt qu’en investissant dans l’économie réelle. Quant au gouvernement, sa stratégie a évolué au fil des changements de majorité, ce qui n’est pas pour simplifier les choses.

Et vous, que feriez-vous si vous étiez en charge de la situation ?


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