L’Affaire Climat: un procès contre l’État belge

Le point sur l' Affaire Climat, cette action citoyenne qui a pour but de forcer les autorités belges, par le biais des tribunaux, à respecter leurs promesses internationales en matière de climat.

En 2014, l’Affaire Climat ASBL a intenté une action en justice contre les quatre autorités belges responsables du climat. Après quelques manœuvres dilatoires, et le soutien de plus de 65.000 citoyens et de la Coalition climat, l’affaire a finalement été plaidée au tribunal du 16 au 26 mars 2021.
Neuf jours durant, les avocats de l’Affaire climat ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour plaider la cause. À présent, les dés sont jetés. Le destin de l’Affaire Climat a été remis entre les mains de trois juges et il ne nous reste plus qu’à attendre, pleins d’espoir.

Pourquoi ce procès ?

L' Affaire Climat est une action citoyenne qui veut forcer les autorités belges, par le biais des tribunaux, à respecter leurs promesses internationales en matière de climat. Conscients qu’un réchauffement de plus de 1,5 °C est dangereux, la communauté internationale et la Belgique ont décidé qu’il fallait rester en dessous. Mais les autorités belges manquent cruellement à leur devoir en la matière. Or, un climat viable est une condition essentielle pour la survie de notre société.

Comme citoyens, nous concédons une partie de notre pouvoir à l’État. Nous concluons un contrat avec les autorités pour avoir la garantie du respect de nos droits humains fondamentaux. Le « droit à la vie » est un de ces droits mentionné à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Oui, la justice peut changer la donne en matière climatique !

Plus qu’un pouvoir d’opposition, la justice doit être un pouvoir d’accompagnement de l’exécutif de nos différents pays. La demande faite à la justice est d’accompagner l’exécutif pour contrôler si les mesures prises sont efficaces et suffisantes pour aboutir aux objectifs de lutte contre le réchauffement climatique.

Le procès a été mené par un tribunal à trois juges, et tous, très concernés, cernaient bien la complexité de l’affaire. La justice s’intéresse à présent à la problématique climatique contrairement à ce qui était le cas encore jusqu’il y a 5 ou 6 ans où des actions « climat ou environnement » au pénal étaient été classées verticalement. Cela a été pris en considération comme si cela concernait le destin de la nation. Un vrai changement !

L’objet de la demande était que l’État belge et les trois Régions prennent des mesures nécessaires pour limiter et éviter le réchauffement climatique dangereux de plus de 1,5°.

Le cadre juridique 

Cette action était fondée sur trois grandes dispositions :
1. L’article 1382 du Code Civil : « La responsabilité extracontractuelle » fondée sur une trilogie où il faut démontrer dans ce cadre qu’il existe une faute ; qu’ entre cette faute et le dommage, il y a un lien causal ; et l’existence d’un dommage, personnel et actuel, causé aux parties requérantes
2. L’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme « Droit à la vie »
3. L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme « Protection de la vie privée »

Il y a quatre parties adverses qui représentent l’exécutif :
- l’État belge, seul interlocuteur vers l’extérieur de la Belgique, vers les institutions supra-nationales, européennes et internationales dont les Nations-Unies,
- les trois Régions, chacune étant compétente en environnement et donc en matière climatique.

Si l’État et les trois Régions ne respectent pas cette obligation de mettre en pratique cette garantie des droits humains, les citoyens peuvent saisir la justice pour faire appliquer ces droits.

Dans le cadre du climat, les quatre exécutifs belges ont l’obligation d’assumer les efforts nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

S’il ne le fait pas, les citoyens peuvent demander à la justice de faire honorer les accords climat. Si le juge constate que les autorités ne respectent pas leur part de l’accord, ou si les limites du droit ne sont pas respectées, il peut imposer aux autorités de faire plus d’efforts afin de garantir un climat viable pour tous les citoyens et pour la société, également pour les générations futures.

Les plaidoiries

Voici les principaux éléments plaidés par les avocats de l’Affaire climat:
• les faits du réchauffement climatique, accompagnés d’explications sur l’effet de serre, l'effet de réchauffement du CO2, les points de basculement…;
• les conséquences du réchauffement climatique en Belgique et dans le reste du monde;
• les engagements et les lacunes de la Belgique;
• l’absence de collaboration et de coordination intra-belge en matière de politique climatique ;
• la responsabilité de l’État fédéral et des trois Régions ;
• la violation des droits humains et de l’enfant ;
• des injonctions et des astreintes à l’État fédéral et aux Régions afin que chaque partie respecte ses engagements pour le climat.

Bien entendu, l’État fédéral et les trois Régions ont tenté de minimiser leurs responsabilités et de démontrer les efforts et les mesures prises. Mais ils ont aussi rejeté les responsabilités sur les citoyens!

Chez nos voisins

Aux Pays-Bas, l’Affaire Climat fut la première du genre. L’organisation environnementale Urgenda nous a prouvé que c’était possible. Soutenue par 886 co-demandeurs, le 20 décembre 2019, Urgenda a gagné l’Affaire Climat contre l’État néerlandais. Le tribunal a ordonné à l’État de protéger ses citoyens contre les conséquences du changement climatique et de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 25 % en 2020 par rapport à 1990. La voie est ouverte dans le monde entier.

En France, le 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris reconnaît la responsabilité de l’État français dans la crise climatique et juge illégal le non-respect de ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’État est également reconnu responsable de “préjudice écologique”.  Une victoire historique pour le climat obtenue par les quatre ONG (Notre affaire à tous, Greenpeace, Oxfam et la Fondation Nicolas Hulot) regroupées sous la bannière «L’affaire du siècle». Elles ont été soutenues par une pétition signée par 2,3 millions de personnes.

A l’issue de ce «premier grand procès climatique en France», ainsi qualifié par la rapporteuse publique dans ses conclusions lors de l’audience du 14 janvier, l’Etat français est condamné pour «carences fautives» dans la lutte contre le réchauffement climatique en se montrant incapable de tenir ses engagements de réduction des gaz à effet de serre (GES) sur la période 2015-2018.

En Allemagne, la dernière semaine d’avril 2021, la Cour constitutionnelle allemande a déclaré que le gouvernement avait échoué à expliquer comment il comptait réduire les émissions de carbone au-delà de 2030 pour les ramener à un niveau quasi-nul d'ici 2050, et que cela constituerait de manière injuste un fardeau pour les générations futures. L’hebdomadaire Der Spiegel relayé par Reuters (5/5/2021) écrit que dans la foulée l'Allemagne envisage de relever son objectif de réduction des émissions de carbone d'ici à 2030 de 55% à 65%. Selon ce nouvel objectif, l'Allemagne viserait des émissions nettes nulles d'ici 2045, soit cinq ans plus tôt qu'initialement prévu, précise l'hebdomadaire sur son site internet.

Verdict en juillet

Après les Pays-Bas, la France et l’Allemagne condamnées pour inaction climatique, la Belgique sera-t-elle la prochaine? Nous espérons bien sûr connaître le même succès.

Nous attendons maintenant avec impatience le verdict qui sera rendu début juillet. On espère que le tribunal suivra la demande des requérants de fixer un calendrier visant à faire comparaître de manière régulière l’État belge et les trois Régions pour constater que des mesures ont été prises et que ces mesures sont nécessaires et suffisantes pour lutter contre le réchauffement climatique dangereux.

N’hésitez pas à consulter le site https://affaire-climat.be pour vous tenir au courant de l’évolution du procès.